Le parcours inachevé des droits fonciers des femmes
Trente ans après l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, aucun pays au monde n’a pleinement réalisé les droits des femmes. Bien que des progrès significatifs aient été accomplis pour instaurer des cadres juridiques solides aux niveaux national et international, la réalité des femmes à la base demeure inchangée. La lutte pour les droits fonciers illustre parfaitement cet écart entre la législation et son application.
Pour les femmes à travers l’Afrique, la terre est bien plus qu’une simple propriété ; elle représente la sécurité, la dignité et l’opportunité. Pourtant, malgré l’existence de dispositions légales comme le Protocole de Maputo et les Directives sur les investissements fonciers à grande échelle en Afrique, leur mise en œuvre reste faible. Les femmes continuent de faire face à une discrimination systémique, des barrières culturelles et une exclusion économique dans l’accès et la propriété de la terre.
Alors que nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes 2025 sous le thème "Accélérer l’action", il est temps d’aller au-delà des discours. Ces témoignages de femmes rurales, de pasteures, d’agricultrices, de peuples autochtones (PA) et de jeunes femmes offrent un aperçu direct des obstacles auxquels elles sont confrontées et soulignent l’urgence d’un changement réel.
Les voix des femmes : Histoires du terrain
Laureen Ongesa: "La terre est bien plus qu’une propriété ; c’est une question de survie"
"Les droits fonciers des femmes ne se limitent pas à l’obtention d’un titre de propriété. Ils représentent la sécurité pour nos enfants, l’autonomisation économique et un avenir libéré de la peur. Lorsqu’elles disposent d’une tenure foncière sécurisée, les femmes investissent dans leurs exploitations agricoles, augmentent leur productivité et renforcent la sécurité alimentaire.
Cependant, beaucoup d’entre nous ne peuvent pas hériter de terres, ne peuvent pas les utiliser comme garantie pour des prêts et risquent en permanence d’être expulsées. Les normes traditionnelles favorisent encore les hommes, et même lorsque des lois existent, leur application reste faible. Sans accès à la terre, les femmes sont privées de leur droit fondamental à la dignité et à l’indépendance."
Aïcha Salihou: "Nous cultivons la terre, mais nous ne la possédons pas"
"Dans ma communauté, les femmes peuvent accéder à la terre, mais elles ne peuvent pas en être propriétaires. Nous cultivons les terres de notre père, de notre frère ou de notre mari. Si nous voulons investir dans l’agriculture, nous devons louer une terre auprès d’un tiers.
Le plus grand défi est la tradition et le manque de sensibilisation. De nombreuses femmes autochtones ignorent même qu’elles ont des droits fonciers. Sans propriété foncière, nous restons économiquement vulnérables, incapables de planifier ou de prendre des décisions concernant les terres que nous cultivons.
Pour changer cela, nous avons besoin d’éducation, de réformes juridiques et d’alliés masculins qui soutiendront le droit des femmes à posséder et à contrôler la terre."
Janet Lapat : "La culture me considère comme la propriété de mon mari, pas comme une propriétaire foncière"
"Pour les femmes à la base, la propriété foncière est une lutte constante contre les normes culturelles et les barrières économiques. Dans ma communauté, les femmes ne sont autorisées qu'à cultiver pour leur subsistance, tandis que les hommes contrôlent l’agriculture commerciale. Lorsqu’ils vendent leurs récoltes sur le marché, les revenus ne reviennent souvent pas au foyer mais alimentent plutôt les violences basées sur le genre (VBG).
Les veuves et les mères célibataires sont les plus touchées. Lorsqu’un mari décède, sa femme est souvent contrainte de quitter sa maison et ses terres, peu importe sa contribution à leur acquisition. Les femmes sont également poussées à signer des accords fonciers en tant que témoins plutôt qu’en tant que copropriétaires, ce qui permet aux hommes de vendre les terres sans leur consentement.
La seule voie à suivre est de mettre la terre entre les mains des femmes et des filles, en garantissant qu'elles puissent prendre des décisions sur son utilisation, son contrôle et son héritage."
Saoudata: "Pour les femmes autochtones, la terre, c'est la vie"
"En tant que femme autochtone ayant passé la majeure partie de sa vie sur des terres traditionnelles, j’ai un attachement profond à mon territoire. La terre n’est pas seulement une propriété ; elle est notre histoire, notre culture et notre survie.
Avoir des droits fonciers me permet de préserver mes liens spirituels, nutritionnels et sanitaires avec mon environnement. L’accès aux cimetières de mes ancêtres m’apporte un réconfort spirituel, et certains espaces comme les forêts, les étangs et les oasis permettent de soutenir nos communautés. Lorsque mon peuple est privé d’accès à ses terres, c’est comme si l’on retirait un poisson de l’eau. Nos droits les plus fondamentaux – l’alimentation, la santé, les soins, la culture et l’histoire – sont en danger."
Accélérer le changement
Les femmes à la base ne sont pas seulement des victimes ; elles sont des leaders, des cultivatrices et des actrices du changement. Mais sans droits fonciers, leur potentiel reste étouffé. Pour combler l’écart entre les politiques et la réalité, nous devons passer à l’action de manière concrète:
Impliquer les communautés dans une transformation culturelle
- Les dialogues communautaires impliquant les leaders traditionnels, les hommes et les jeunes peuvent remettre en question les normes de genre profondément enracinées.
- Les campagnes de sensibilisation doivent informer les femmes de leurs droits juridiques et de la manière de les revendiquer.
Amplifier les voix des femmes et la collecte de données
- Les décideurs politiques doivent inclure les femmes à la base dans les forums de prise de décision.
- Les gouvernements et la société civile doivent s’engager à suivre et à rendre compte des progrès réalisés pour réduire l’écart entre les genres en matière de propriété foncière.
Renforcer les cadres juridiques et leur application
- Les gouvernements doivent pleinement mettre en œuvre et faire appliquer les lois existantes qui protègent les droits fonciers des femmes.
- Les lacunes juridiques permettant des pratiques discriminatoires en matière d’héritage doivent être comblées.
- Les initiatives de titrage foncier devraient privilégier la copropriété pour les époux afin de protéger les veuves et les mères célibataires.
Fournir un soutien économique et institutionnel
- Les femmes doivent avoir accès au crédit et aux ressources financières pour investir dans l’agriculture et les affaires.
- Les gouvernements devraient subventionner des procédures d’enregistrement foncier abordables afin de réduire les barrières bureaucratiques.
- Les programmes de renforcement des capacités peuvent former les femmes à la gestion durable des terres et à l’agro-industrie.
Un avenir où les femmes possèdent leur terre et leur destin
Alors que nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes 2025 et que nous réfléchissons aux 30 ans de la Déclaration de Beijing, nous devons nous poser la question : que faut-il pour réellement garantir les droits des femmes ?
La terre n’est pas seulement un bien ; elle est le socle de la sécurité alimentaire, de l’indépendance économique et de l’égalité des sexes. Les voix de Laureen, Aïcha, Janet, et Saoudata nous rappellent que sans action, les femmes continueront d’être exclues des opportunités qui devraient légitimement leur appartenir.
Nous ne pouvons pas attendre encore 30 ans. Il est temps d’accélérer l’action dès maintenant.