Un accord de 90 millions de dollars — Mais à quel prix ?
Le 25 mai 2025, la Secrétaire d’État à la Souveraineté Alimentaire de Madagascar a signé un mémorandum d’entente (MoU) à Tel-Aviv avec l’entreprise israélienne d’agrobusiness LR Group. L’accord, d’un montant de 90 millions de dollars, vise à développer des « agropoles » sur 10 000 hectares dans quatre régions Analamanga, Vakinankaratra, Bongolava et Amoron’i Mania pour produire du riz, du maïs et du soja.
Présentée comme une étape vers la modernisation agricole, l’initiative a provoqué l’inquiétude des groupements paysans et des défenseurs des droits fonciers. Pour eux, cet accord constitue une grave menace pour la souveraineté alimentaire de Madagascar, la sécurité foncière et l’autonomie des petits producteurs.
Derrière la promesse : le coût caché des semences hybrides et des modèles d’agrobusiness
Le projet prévoit d’utiliser des variétés hybrides de riz chinois sur 5 000 hectares la moitié de la superficie concernée. Ces semences, bien que très productives, ont un coût élevé : elles ne peuvent être réutilisées d’une saison à l’autre, obligeant les paysans à acheter de nouvelles semences à chaque cycle. Cela accroît leur dépendance vis-à-vis de fournisseurs externes et affaiblit la souveraineté semencière locale.
Plus préoccupant encore est le modèle d’organisation proposé l’agrégation agricole, une forme de partenariat public-privé qui regroupe les agriculteurs en coopératives sous des contrats stricts avec une entreprise « agrégatrice ». Alors que ces paysans conservent nominalement la propriété de leurs terres, ils doivent utiliser les semences, engrais et machines fournis par l’agrégateur, souvent financés par de la dette. À la récolte, ils doivent vendre leur production à l’entreprise, parfois à des prix convenus à l’avance sans réelle marge de négociation.
Des modèles similaires notamment en Angola, où LR Group a mis en place le projet Aldeia Nova, aujourd’hui en faillite ont entraîné une accumulation de dettes, des échecs économiques et la perte des terres pour les familles locales.
Craintes d’accaparement des terres et de perte de contrôle
Des organisations paysannes, notamment le Collectif TANY et le SIF, estiment que ce projet rappelle le sinistre héritage de l’accord Daewoo, où des millions d’hectares avaient failli être cédés à une entreprise étrangère au détriment du peuple malgache.
La crainte est claire : sous couvert de développement agricole, les terres risquent d’être progressivement aliénées aux communautés. Le fait que LR Group souhaite « mobiliser » des financements et non investir directement soulève encore plus d’interrogations. Si les prêts sont garantis par le gouvernement malgache, ce sera le peuple qui supportera la dette, tandis que des entités étrangères contrôleront le processus.
La souveraineté, c’est le contrôle local pas la captation par les entreprises
La vraie souveraineté alimentaire requiert:
- La sécurisation des droits fonciers pour les agriculteurs, en particulier les femmes, les jeunes et les ménages sans terres.
- La protection des systèmes semenciers locaux et de la biodiversité.
- L’investissement public dans des infrastructures paysannes et un accès équitable aux marchés.
- La participation des communautés à l’élaboration des politiques agricoles.
L’usage de semences hybrides, les coopératives imposées et une agriculture sous dépendance endettée sapent cette vision. Il en va de même du manque de transparence et de participation publique dans la conception d’accords aux impacts aussi importants.
Un appel à reprendre la main
Ce cas n’est pas isolé. À travers l’Afrique, la « modernisation » est trop souvent associée aux modèles d’agrobusiness à grande échelle, qui concentrent le pouvoir et marginalisent les petits exploitants. Pourtant, ce sont les agriculteurs familiaux, les Peuples Autochtones et les pastoralistes qui nourrissent la majeure partie du continent — et dont les savoirs, les terres et le travail sont essentiels à un système alimentaire juste et durable.
La lutte à Madagascar est un appel à nous tous. Le développement ne doit jamais se faire au détriment de la dignité, des droits ou de la souveraineté des populations.
ILC Afrique aux côtés des paysans malgaches
Nous joignons nos voix à celles de ceux qui résistent aux accaparements fonciers et appellent à une transformation agricole inclusive, pilotée par les communautés.